Hypnose et Rythmes*
I- Accords et désaccords de rythme (Christiane Krietlow)
II- Accordage des rythmes en hypnose (S. Le Pelletier-beaufond)
I- Accords et désaccords de rythme
de Christiane Kreitlow
Evoquer le rythme en hypnose et hypnothérapie est une banalité. En quelque sorte le rythme est pain quotidien du thérapeute :
- des séances organisées à intervalles brefs ou plus longs
- séances rythmées entre échanges et hypnose
- changement de rythmes de voix, de timbre, et de tonalité
- conduire le patient de son rythme de la veille à celui de l’éveil
C’est précisément ce caractère banal associé à sa présence constante qui a retenu notre attention, naissant d’une intuition à partir d’observations et d’expériences cliniques.
En effet à la recherche de quelque réflexions sur ce sujet, nous nous sommes aperçus de sa quasi-absence dans la littérature d’hypnose ou de thérapie tout court. Cela a peut-être sa raison, car le rythme ne semble que difficilement saisissable par la pensée – il est simplement – il s’impose, se réfère dans son essence aux catégories telles que le temps et l’espace, à la vie, aux perceptions aux affects, à l’humain. « Nous ne connaissons le rythme que par expérience », écrit le psychanalyste Nicolas Abraham.
C’est d’ailleurs une erreur de parler du rythme. Objets d’infinies variations, le rythme se transforme inlassablement, accélère ses cadences, freine ses élans et joue des tours et des détours dans les formes dont la musique, la poésie et la peinture nous offrent ses infinies richesses.
Retenons cependant que le rythme, à priori, apparaît comme une succession d’émergences, se produisant à intervalles à peu près réguliers et de manière plus au moins répétitive.
Peut-être devenons-nous être attentifs à son égard quand il s’impose à nous dans ses perturbations dont témoignent les problématiques de nos patients, ou encore quand il fait défaut, aussi incroyable que ce soit, comme cela a été le cas pour Milton Erickson.
Ce n’est donc pas par hasard que le rythme en hypnothérapie joue un rôle prépondérant.
L’objet de notre exposé se veut alors simplement de fournir aux thérapeutes quelques réflexions sur ce qui compose la thérapie, sur ce qui peut se recomposer, dans l’espoir de pouvoir créer de nouvelles notes et mélodies.
Erickson écrit dans un article publié en 1961 : « Peu après mon entrée à l’Université de Wisconsin, je me présentais au professeur de psychologie qui était alors Joseph Jastrow et lui fis part d’une requête. Il accepta gentiment de me soumettre à un grand nombre de tests… et me révéla finalement que je faisais partie du un pour cent de gens qui apprécient ou comprennent le moins la musique et les rythmes. Il me déclara aussi que mon audition avait une étendue supérieure à la normale tant pour les fréquences basses que pour les fréquences élevées. »
Plus tard le Dr. Sapir confirme à Erickson ce diagnostic après l’avoir écouté avec fascination lors d’une conférence en cherchant à découvrir de quel type était le rythme d’élocution., de sorte qu’il avait du coup manqué le contenu de la conférence. Il affirma à Erickson qu’il avait passé en revue sa collection d’enregistrement et qu’il avait était tombé sur celui d’une tribu d’Afrique Centrale dont le rythme était semblable au sien.
Dans son article, Erickson évoque ses incompréhensions en tant qu’enfant devant ses camarades chantant, tapant les mains et les pieds au rythme quand la maîtresse se met à jouer à l’orgue. À la recherche de solutions, il découvre les « dons » des variations de la respiration qui firent de lui un savant de la stimulation subliminale. Erickson se mit à synchroniser sa respiration sur celles des camarades et du professeur, puis à la varier en induisant ainsi des comportements tels que le bâillement, ou la reprise d’une chanson, toujours à leur insu. Sa découverte se fit alors par défaut de reconnaissance rythmique musicale. La respiration s’impose avec les pulsations cardiaques sans doute comme étant au centre des expériences rythmiques. Elle convoque l’écoulement du temps en y associant les variations de vitesse de nos mouvements et de nos repos. Moteur de la vie , la respiration semble comme mise en nous. Cependant sa rythmicité requiert de l’altérité, comme le montre les expériences du jeune Erickson. Le psychiatre allemand Hubertus Tellenbach écrit à ce propos : « S’il existe des rythmes endogènes, comme le rythme cicardien, il convient de préciser que les processus rythmiques ne sont pas des réactions secondes et passives à l’influence de l’environnement pour s’accorder sur eux et synchroniser ses propres rythmes. » (jour et nuit, lumière et obscurité). Et Nicolas Abraham rajoute : « le rythme ne cesse de solliciter la conscience de s’abandonner à lui. »
L’importance de l’altérité dans l’expérience rythmique est bien démontré dans les travaux du pédiatre et psychanalyste américain et genevois par adoption, Danièle Stern. Stern étudie la communication duelle entre le bébé et sa mère, puis tertiaire, entre le bébé et ses parents. Voix, gestes, postures et mimiques constituent les éléments de la relation et des échanges. « Les mères, dit Stern, visent à s'accorder avec le petit enfant dans l'objectif d'un partage de l'affect. Leurs réponses semblent d’abord en synchronie et en miroir. L’enfant trouve un objet et le montre dans la joie en levant les bras, la mère suit le mouvement en l'imitant. Mais en le regardant de plus près et en les observant dans le temps, il s’avère que la mère introduit progressivement quelque chose de nouveau. Ces variations légères font évoluer l’accordage, et du coup, un état interne. Le phénomène de l’accordage déplace le centre de l’attention (d’un comportement ou d’une vocalisation) de ce qui sous-entend le comportement, vers le caractère de la sensation en train d’être partagée. »
Trois caractéristiques sont au fondement de l’accordage affectif : l’intensité, la forme et le rythme. Ce dernier s’exprime dans la répétition, dans la variation des durées et des tempos. L’accordage affectif, et avec lui le rythme, peuvent changer les canaux d’expression. Ainsi un mouvement transpose son rythme ene celui d’une vocalisation et vice-versa. Le rythme convoque alors expression vocale et mouvement. Si ces processus se font en général en dehors de la conscience, Stern précise cependant qu’il existe des accordages manqués dans lesquels la mère change de rythme et d’intensité intentionnellement. Le but ici est d’augmenter ou de diminuer les niveaux d’activité ou d’affectivité du bébé.
Nous ne savons si nous pouvons oser parler d’un prototype de la relation d’hypnose. Les jeux de l’accordage affectif évoquent cependant ceux que l’hypnothérapeute sait manier pour induire le processus d’hypnose et pour le conduire. Ernst Rossi relate dans le tome I de l’intégrale des articles de Milton Erickson, la thérapie du jeune Robert, âgé de 7 ans, souffrant d’affreux cauchemars. « L’auteur, dit Rossi, procéda de la manière suivante : au dbut des cauchemars quand Robert commençait à gémir, il lui disait en accordant le rythme des paroles à ses cris : quelque chose va arriver, ça va te faire très mal, c’est un camion, il vient droit sur toi…etc. Rossi poursuit : « Erickson accordait le rythme à celui de ses cris, et il s’arrêtait quand l’enfant se taisait. En d’autres termes, on cherchait à s’accorder au rythme et à la nature du stimulus subjectif interne. Il espérait ainsi parvenir à associer les deux types de stimuli et finalement à les conditionner l’un à l’autre. » Et Rossi poursuit : « L’auteur s’accordait aux cris de l’enfant, mais en modifiant progressivement ses paroles jusqu’à ce qu’à la fin ce soit simplement un camion qui vient sur lui, et tout ira bien… » Dans cet exemple, le rythme est facteur d’accordage dans lequel sont introduites des variations en fonction des modifications du contenu. En quelque sorte, en s’appuyant sur l’analogie musicale, il s’agit d’une variation sur le thème.
L’hypnose nous évoque-t-elle la musique ?
En tout cas la musique possède ses forces singulières qu’évoque le philosophe Hegel dans ses écrits sur l’esthétique : « le moi est dans le temps et le temps est l’être du sujet, le temps du son est aussi le temps du sujet et le son pénètre dans le moi, le saisit dans son existence simple, le met en mouvement et l’entraîne dans son rythme cadencé, tandis que les autres combinaisons de l’harmonie et de la mélodie, comme expression des sentiments, complètent et précisent l’effet produit sur le sujet, contribuent à l’émouvoir et à l’entraîner. » Le rythme possède donc une force d’entraînement et de résonance émotionnelle. Si les suggestions hypnotiques peuvent se servir des thèmes musicaux de façon métaphorique, le rythme de la voix du thérapeute dans ses variations d’intensité entre son et silence, conduit aussi aux résonances et vibrations des sensations, voire à l’expérience de nouveaux rythmes.
Qu’en est-il alors de nos patients et de leurs problèmes ?
Peuvent-ils être évoqués et compris comme une perturbation des rythmes et par-là des mouvements et de leurs traductions en actions ?
Revenons au psychiatre allemand Hubertus Tellenbach qui, dans son œuvre « la Mélancolie » insiste sur le rythme comme « élément vitale de la vie » . Et cet élément vital connaît précisément des perturbations dans cette maladie, perturbations qu’il appelle « altérations du rythme historial » (altérations dans le rythme de l’histoire vitale tel que l’alternance sommeil-veille, des cycles chez la femme, dans les besoins réguliers en nourriture, les rapports sexuels etc..) mais aussi des humeurs et ou encore des fluctuations de la capacité d’action dans la journée). Et Tellenbach précise dans ces études ce qui devrait faire réfléchir tout thérapeute : « Certains résultats de recherche psychiatrique transculturelle incitent à conclure que l’inclination à la mélancolie augmente d’autant plus que les rythmes sont éliminés de façon évidente de la sphère culturelle, on pourrait dire que les rythmes échappent au déterminisme psycho-spirituel de la vie pour dépendre de la cadence de la machine. »
Le stress de surcharge ou de sous-charge, dans ses manifestations symptomatiques, semble témoigner dans ce sens. Ici le sujet fait en vain l’effort d’accorder ses rythmes personnels sur ceux de l’environnement. Les récits des patients évoquent les besoins de contrôler et de maîtriser à nouveau le mouvements des éléments qui composent l’environnement et les inclinent à de constantes anticipations des événements. Du coup ils se retrouvent en décalage continu des temps, jamais dans le rythme présent. Ce phénomène s’exaspère dans le stress traumatique. «Je suis toujours en dehors de moi, je marche à côté de moi », peut-on entendre et dont le clinicien sait qu’il s’agit aussi d’une défense, celle de la dissociation. Des traumas psychiques précoces témoignent de ce que j’appellerai, « the emotional cut-off », terme emprunté au thérapeute familial Bowen dont la définition n’est pourtant pas la même. Ici une soudaine interruption de la relation intensément stimulante et répétitive pour le bébé, provoque un état de détresse par l’arrêt de la rythmicité de l’échange. L’enfant se trouve sans secours et reste seul avec ses excitations sans pouvoir à nouveau les accorder au rythme de l’environnement. Une patiente formule ce phénomène sous la forme : « j’ai l’impression que ma vie est simplement lors d’un événement. Et je vais d’un événement à l’autre et, entre les deux, j’attends. »
Certaines phobies retracent le même problème. Sous l’emprise d’une angoisse, quelque chose de catastrophique pourrait arriver dans chaque instant futur. En tout état de cause le sujet dans son corps semble comme incapable de se référer à ses propres sensations afin de les laisser vibrer et résonner aux rythmes environnants et de le se relier ainsi. Le bouddhisme relate une métaphore : « quand vous êtes sur un pont et que vous regardez le torrent en dessous dans ses agitations, tourbillons et mouvements, vous risquez le vertige. Seul, en laissant ses mouvements agir sur vous, à y entrer, à savoir vous perdre dans les tourbillons, vous permet au bout de quelque temps de mettre à l’unisson les rythmes internes et externes et de retrouver la stabilité calme. »
La dépression se caractérise aussi par un ralentissement des idées et du corps, une raréfaction de l’action par crainte des mouvements. Toutes proches, les problématiques du deuil pathologique, souvent associées à un vécu traumatique, évoquent l’arrêt du temps à partir duquel s’observe une constante dysharmonie des rythmes dans la vie quotidienne à laquelle le patient a beaucoup de mal à faire face. Elle le laisse dans un sentiment d’être souvent inadapté et fatigué. Certains patients, souffrant de manifestations dites « psychosomatiques », dans le refus de s’inscrire dans le temps synonyme de fin annoncée, choisissent de ne pas réagir, de ne pas s’installer dans la vie, de se couper des rythmes de l’altérité environnante.
L’hypnose peut jouer un rôle prépondérant dans le soin de ces pathologies parce qu’elle convoque et exploite le rythme.
L’induction par le thérapeute, de séance en séance, peut prendre la forme d’un rite dans lequel insistent par exemple la médiation Zen ou les chamans, pour introduire la transe.
Plus proche de nous le violoncelliste Pablo Casals commençait tous les jours de sa vie de virtuose avec une fugue de Bach, summum des variations de rythmes ponctués. L’expérience elle-même de l’hypnose fait éprouver au patient ses propres cadences et variations de sensations. Et l’on peut observer un curieux phénomène : le rythme de la respiration dans sa continuité temporelle, ten un appui confiant, se met en arrière-fond pour laisser la prédominance à l’expérience spatiale du corps, des émotions, des images et de mouvements possibles et riches de nouveaux possibles.
Le maître du Zen Suzuki écrit à propos de l’expérience « satori » quelque chose qui peut s’appliquer à la transe hypnotique : « Dans le monde spirituel, il n’existe pas de division du temps telles que passé, présent, futur, car elles se sont résorbées en un seul instant présent, où l’existence vibre de son sens véritable. Le passé et le futur sont tous deux mêlés dans cet instant présent de l’illumination qui n’est pas immobile avec tous ses contenus, car il se meut sans cesse. »
Regardons maintenant de plus près ce qui se joue entre les rythmes et la voix du thérapeute et ceux du patient.
II- Accordage des rythmes en Hypnose
S. Le Pelletier-beaufond
Avant d'envisager le rythme en hypnose, il nous faut, dans ce contexte, revenir tout d'abord à la voix. Support de rythme, elle est à mon sens, un élément constitutif prépondérant dans notre pratique.
La voix évoque tout d'abord, différentes expériences sonores : par exemple, celle de l'enfant, en rapport avec la constitution de son monde sensoriel, et de ses premiers apprentissages, et celle de l'endormissement au cours duquel il existe un apparent éloignement de la voix, endormissement qui implique la possible mise en route de l'imaginaire, par la promesse du rêve à venir. Plus significativement, la voix instaure un lien sonore singulier entre le thérapeute et le patient. Plus que toucher entre soi et l'autre, plus que "pont entre deux", elle définit la distance entre les individus. Constitutive d'un espace particulier, elle enveloppe le corps du patient, elle en épouse la totalité, pour peu que le patient se laisse aller à y être attentif et réceptif. La voix peut se répandre, autour et à l'intérieur de lui, redonnant sa pleine dimension corporelle à l’hypnotisé. La voix implique le patient dans cette production, par l'attention qu'elle lui demande et l'initiative des réactions qu'elle suscite chez lui.
Constitutive et frontière de l'espace thérapeutique, elle matérialise en même temps, le lieu où se concentre l'ensemble des messages. L'hypnose, instituant un relatif isolement sensoriel, impose la voix comme lien presque exclusif entre le patient et le monde qui l'entoure ; le thérapeute devenant le seul témoin de la présence de l'autre, le révélateur de ce corps réduit à soi. Erickson précisait: "iIl est important de parler aux patients comme si vous vous adressiez juste à eux, juste pour eux, de vous à eux et rien d'autre..... de telle sorte que leur attention se concentre sur vous,...( il est important)…de les amener jusqu'à la limite de leur attention" : par l'authenticité et l'unicité de ce lien vocal, Erickson délimitait un espace consacré au seul patient.
Lieu de rencontre, la voix initie à l'influence mutuelle par la parole qui s'y associe. Parce que la voix de l'hypnothérapeute est autre: basse, monocorde, atonale, impersonnelle: ni voix-écho, ni voix-spéculaire, mais voix-résonance; elle signifie au patient la présence du thérapeute démuni de ses intentions et résolutions, comme simple interprète des résonances qui surgissent dans l'espace et le temps de la séance; ces résonances apparaissant à l'intersection de leurs histoires, en rapport avec la problématique rencontrée.
Enfin, la voix accompagne. Nous connaissons tous la phrase d'Erickson. « … et ma voix vous accompagnera.... dans ma voix vous pouvez entendre, le murmure du vent, le bruissement des feuilles, et la voix devient celle d'un voisin, d'un ami ou d'un parent, de quelque chose de connu.… »: sens premier de la thérapie: ni guide, ni soutien, ni savoir, elle est là, à coté. Si elle accompagne, c'est donc qu'elle suggère le mouvement. Promesse et anticipation du futur, compagnon de voyage, elle invite à s'aventurer sur un nouveau parcours ; c'est ce que nous attendons de nos patients.
La voix et le rythme qu'elle sous-tend installent le patient dans un espace-temps singulier: dans celui-ci, l'hypnotisé est invité à réinvestir son corps en relation, à s'inscrire dans une temporalité adaptée, pour se remettre en mouvement. La pratique d'Erickson illustre l'importance qu'il accordait à la voix et au rythme : en hypnose, il s'adressait à ses patients dans la phase expiratoire, acte métaphorique sans doute de la nature du lien qu'il souhaitait établir avec eux : un souffle de l'un à l'autre, animé d'un rythme déterminé.
Le contexte hypnotique constitue ce que l'on pourrait nommer une matrice sonore. Celle - ci serait, dans le cadre thérapeutique, un des éléments qui incitent le patient à se recentrer sur son corps, grâce à la relation, et à renouer ainsi avec ses facultés d’apprentissage. Osons une comparaison : cette matrice présente certaines caractéristiques semblables à celle qui entoure le fœtus. Comme elle, c'est une enveloppe sensorielle qui englobe le corps, le monde extérieur y parvenant sous la forme de stimulations essentiellement sonores; le corps au centre étant, le réceptacle de ces messages. Dans l'univers sonore originel, le foetus, en contact permanent avec ses rythmes biologiques et ceux de sa mère, découvre les premières sensations qui lui révèlent sa réalité corporelle. Réceptif mais aussi acteur, il répond à ces stimulations parfois de manière spécifique (par exemple, il entretient une relation privilégiée avec la voix de sa mère). En explorant ainsi l'effet de ses interactions, il invente les premiers jeux communicationnels. D'après les éthologues, c'est déjà là que se partagent les premiers codes émotionnels. À l'intérieur d'un espace-temps lié aux premiers tempos, son existence se concrétise dans et par la relation à l'autre; son corps peut s'exercer à agir au gré de la fluctuation des perceptions sonores, des rythmes et de la voix: la relation porte les premiers processus d'apprentissage. Si nous gardons cette analogie en hypnose, le patient est à nouveau immergé dans un univers de sons, de voix et de rythmes, univers synonyme d'interactions; centré sur son corps, il retrouve par la relation de nouveaux apprentissages, prend acte et interagit avec ce contexte.
L'hypnose est en effet "renversement " : il ne s'agit ni d'écouter la parole qui est sens, ni d'être écouté, ni même de s'écouter parler, mais d'être réceptif à l'autre, à l'autre comme soi, l'autre à propos de soi, pour revenir à son corps et aux rythmes qui l'animent. Mais l'hypnose est aussi liberté: liberté d'entendre ou de ne pas entendre, ou d’entendre autre chose: le patient, utilisant cette enveloppe mobile et flexible, la module à son gré, soutenu par et dans la relation, pour définir un nouvel espace-temps dans lequel il peut évoluer. D'une position rétrécie et souvent figée, il opère un déploiement de son corps dans une remise en mouvement harmonieuse, s'installant pleinement dans l'immédiateté de son existence.
Dans la séance, la voix du thérapeute, par le rythme quelle porte, prépare au silence. Dans l'espace thérapeutique, la voix du thérapeute ponctue le travail intérieur du patient. Lorsque la voix s'interrompt, le patient, suspendu à ses perceptions, est invité à déployer plus encore ses sensations corporelles, à prendre le temps de contacter les moindres détours de l'enveloppe sonore ainsi co créée. Ce silence implique la mise en attente tendue vers la présence renouvelée de la voix; intervalle entre deux paroles proférées, il peut contenir tous les possibles. Le silence attire l'attention sur la probable survenue d'évènements internes ou externes. Il suppose que quelque chose d'autre va se produire, il impose l'attente. L'hypnose est apprentissage de l'attente par cette confrontation au silence, par l'acceptation de cette vacuité. L'attente, "nerf de l'hypnose" pour François Roustang, permet alors à l'imaginaire de se manifester, de se renforcer. Si la relation structure l'imaginaire, en hypnose c'est par la voix effectrice d'un temps-silence, d'un temps- alternance, que se matérialise le lien entre le monde extérieur et le monde intérieur; le patient peut alors accueillir et intégrer de nouvelles données: la réciprocité est ici processus d’apprentissage, d'intégration et d'adaptation.
Le silence a en outre la particularité de faire s'estomper les catégorisations du temps : révélation de l'instant, il est aussi anticipation, il est encore fermeture. Le silence en hypnose permet d'être présent au présent.
Si nous parlons du rythme, mise en acte, ponctuation, concrétisation du temps, c'est que nous pensons, comme cela a été évoqué précédemment, que l'efficacité de l'hypnose tient aussi de son influence sur la relation que l'individu entretient avec le temps. Certaines situations problématiques semblent en effet caractérisées par le rapport au temps disharmonieux que les patients présentent: disharmonie, témoin ou origine de ces dysfonctionnements. Il semble que le rapport au temps et au rythme de chaque individu définit son degré de mobilité. D. Stern suppose que l'être humain a plusieurs horloges dans son corps, « mises à l'heure » par les évènements extérieurs: c’est-à-dire qu'une partie de soi s'accorderait au temps réel, en fonction de ces évènements. Dans la mise en rythme hypnotique, les différentes horloges corporelles pourraient devenir synchrones. Les décalages temporels intéressent le corps mais également les relations. D Stern démontre à ce sujet qu’au cours des premières interactions parents- bébé, à chaque situation relationnelle, le nourrisson se coordonne nécessairement avec le mouvement temporel de l'un ou l'autre de ses parents. Sensible aux différences de rythme, il peut être confronté à des situations dans lesquelles les deux parents lui offrent des rythmes proches mais décalés ou chaotiques. L'enfant risquerait alors de ne pouvoir s'accorder aux rythmes coexistants, et développer une pathologie. Daniel Stern souligne ici l'importance de l'accordement intersubjectif, qui se réalise dans ce cas par la synchronisation des rythmes corporels. Évoquant ce même accordement intersubjectif, l'hypnose est précisément l'instrument de la mise en synchronicité des rythmes en présence; elle implique l'apprentissage d'une nouvelle forme de relation à l'autre. En effet, le thérapeute, centré initialement sur la recherche des temps et rythmes qui gouvernent le patient, s'applique ensuite à installer une synchronisation temporelle. La thérapie fait naître de la relation un temps partagé, inventé dans la résonance. Par l'accordage des deux rythmes relationnels mis en contact, elle devient synchronicité et inscrit ensemble, patient et thérapeute, dans un autre tempo. La co-création de ce nouveau rythme, né de la relation, autorise alors le patient, s'il s'en empare et le fait sien, à renouveler son rapport au temps. L'incarnation de cet autre rythme peut alors structurer l'ordre à partir du chaos, et permettre au patient de se recentrer et d'organiser ce qui lui échappait jusqu'alors. Notons que les patients (ceux qualifiés de « psychosomatiques »), par exemple, dans une dynamique de changement, se remettent à rêver: c'est déjà là, une première réconciliation avec le rythme ( ici, celui qui met en scène le sommeil et les rêves), et la réémergence de l'activité créatrice de l'imaginaire. Enfin, la périodicité directement corporelle du rythme met le patient en mouvement et le prépare à l'action. Le rythme en effet porte le corps, il l'incite à le suivre, à y adhérer, à l'agir; élan, il suggère l'action. L'immobilité apparente de l'hypnose s'accorde paradoxalement à la future mobilité du patient, l'une préparant l'autre.
" Contexte des contextes " pour Fr.Roustang, l'hypnose créé donc un espace-temps singulier, matérialisé par la voix rythmée du thérapeute, espace-temps qui contient altérité, attente et synchronicité. Nées de l'interaction dans un parcours réciproque de l'intérieur vers l'extérieur, les résonances sensorielles sont traduites par le thérapeute en sonorités et rythmes réorientées vers le patient. Celui-ci renouant avec son corps en relation réapprend à s'accorder aux temps et rythmes corporels et relationnels. L'hypnose est donc apprentissage de l'accordage temporel, corporel et relationnel. Elle propose un réinvestissement multiple du temps et la mise en action .
Pour conclure, je reprendrai les propos de M.Andolfi, thérapeute familial, en les appliquant à l'hypnothérapie : "La thérapie doit, dit-il, réactiver le temps évolutif de la famille (- ici pour nous de l'individu-) c’est-à-dire la possibilité de vivre le présent, sans le vivre comme une répétition du passé, ou comme l'image obligée du futur ». L'hypnothérapie invite ainsi les patients à redécouvrir et à réinvestir la dimension historique de leur existence.
*article publié dans la Revue SENSUS "Actes du 2 eme Forum Francophone d'Hypnose et de Thérapies Brèves", Tome I, Editions de l'Arbousiers, Mai 2001, No. 1
Mots-clés : hypnose rythme accord